Tuesday 22 June 2010

Fièvre d'essaimage, mai 2010 -- par Noëlle De Roo Lemos


Après cinq ou six semaines de froidure, le temps s'est finalement mis au beau. Nous sommes à la mi-mai. Du côté de l'étang, bernaches, becs scie, oiseaux migrateurs, tout un petit monde ailé s'agite autour des nids et des nichoirs. Plus près de la maison, les pommiers achèvent leur floraison. Pour un temps, à partir de maintenant, les fleurs vont se raréfier et, d'ici la prochaine miellée (production de miel allant de pair avec une importante floraison), les abeilles vont devoir se rabattre sur leurs réserves.

photos N. Lemos
Un bourdonnement inhabituel et une nuée d'abeilles faisant du sur-place devant les plateaux d'envol annoncent le début de la saison des essaimages.

On dit qu'il y a essaimage quand une colonie se divise en deux populations distinctes. D'un côté, l'essaim qui, aussitôt constitué, s'envole et se met généralement en grappe. De l'autre, les abeilles qui restent dans la ruche mère. On attribue le plus souvent ce phénomène à des conditions de congestion à l'intérieur de cette dernière. Nous aurions probablement pu l'éviter si les vérifications d'usage, les jours précédents, avaient pu être faites. La perte d'un essaim, dans la mesure où elle entraîne une diminution importante du nombre des butineuses, peut en effet sérieusement affecter la production de miel. Mais le froid des semaines précédentes a empêché toute visite.

Ruches à gauche, en contrebas de la maison
Présentement deux ruches sont en pleine révolution. Une fièvre les a saisies qui s'empare de nous également. Sans un mot et d'un commun accord, Pedro et moi sommes déjà en train de tout mettre en oeuvre pour les capturer. Qu'est-ce qui nous motive? Bien plus que des considérations techniques (pas même celle, comme il a été de tradition chez des générations d'apiculteurs, de vouloir augmenter le nombre de nos ruches), c'est un je ne sais quoi d'excitant, de motivant, qui nous pousse à agir ainsi. Nous sommes là, en plein milieu d'une nuée d'abeilles qui, bercée par le vent, oscille tantôt à droite, tantôt à gauche, tantôt droit sur nous. Une sorte d'atavisme nous entraîne à l'action.
Grappe avant l'envol
Pour s'emparer d'un essaim il faut savoir que ce dernier, après être resté un certain temps à faire du sur-place devant sa ruche, au moment de quitter, ne va jamais très loin. Les abeilles se rassemblent en grappe, à proximité, jusqu'à ce que les éclaireuses trouvent l'abri idéal, tronc d'arbre évidé ou autre, pour les accueillir. C'est à ce moment-là que l'apiculteur a quelques chances de les capturer. Il importe également de se dire qu'on n'est jamais en possession d'un essaim tant que la reine elle même nous échappe.

Essaim pénétrant dans la hausse
Posé en grappe tout en haut d'un tronc d'aubépine, le premier essaim a commencé, dans un premier temps, par accepter la ruchette mise à sa disposition en haut d'une échelle.

Pedro l'apiculteur heureux
À notre grande satisfaction, une longue procession d'abeilles a commencé à s'y introduire. Mais alors que nous croyions la partie gagnée, la fièvre les a reprises et, à nouveau, ce fut le départ. Pour le principe, nous avons encore un peu couru après elles mais cette fois-ci, elles nous ont quittés à jamais. La ruchette était-elle trop petite pour cette imposante grappe d'abeilles?

Pas de temps pour des regrets, cependant, car le second essaim exige présentement de notre part une intervention immédiate. Et cette fois-ci, cela se présente mieux, à la fourche d'une branche au bas d'un pommier. Une hausse à terre, un coup sec pour secouer la branche et voilà le gros de la grappe qui tombe à l'intérieur. La lente procession du restant des abeilles vers le nouvel habitacle signifie que la reine est déjà dedans. Nous pouvons commencer à respirer et, beaucoup plus tard, une fois les abeilles calmées elles aussi, nous les transportons dans le rucher à côté des autres colonies.

Les essaims sont de formidables producteurs de cire. Ils ont avec eux un très grand nombre d'abeilles "cirières" capables de construire des rayons en un temps record. En milieu sauvage, ce travail fournit à la reine des alvéoles lui permettant de pondre aussitôt et aux ouvrières de l'espace pour emmagasiner le miel. Grâce à cela, l'essaim a la possibilité de renouveler sa population avant que les abeilles arrivées avec la reine ne meurent. Cette capacité à faire rapidement de la cire peut être mise à profit par l'apiculteur qui a capturé des essaims pour lui permettre de reconstituer son stock de cadres. Notre matériel de réserve étant au plus bas en ce début de saison, ce succès remporté auprès du second essaim vient à point nommé.

Toutes ces courses de droite et de gauche, toutes ces acrobaties ont finalement eu une raison d'être technique.
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Voir aussi Louis-Gilles Francoeur au Devoir 29 mai 2010 "Est-ce la fin des abeilles? L'agriculture menace un insecte dont elle a pourtant besoin"

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