photo: le philosophe Jean Bédard
Le 3 avril dernier avait lieu à Montréal le lancement du dernier livre de Jean Bédard, Le pouvoir ou la vie (Montréal, Fides, 344 p. ISBN 978-2-7621-2811-6) dédié à tous ceux et celles qui travaillent à bâtir un monde durable. C’est un livre avec une écriture précise et dont les contenus éveillent des réflexions profondes.
D’entrée de jeu, l’auteur situe l’enjeu : « Dès que le pouvoir vise la domination, il prend une structure spécifique, caractéristique et repérable ». Le pouvoir est une mécanique, une « machine » et non un acte de liberté. Cette mécanique de contrôle tend naturellement à l’inconscience, à la violence et à la destruction. Il y a l’urgence d’une possible destruction écologique, économique, sociale et politique.
Nous avons tous intérêt à réfléchir au pouvoir, à celui que nous exerçons sur les autres, au pouvoir que nous laissons les autres exercer sur nous. « À poings nus, nous pouvons déjà identifier un vainqueur et nous pourrions penser que nous perdons d’avance, et la nature aussi. » La vie, par son énergie intelligente, porteuse de conscience, est mystérieuse et infiniment plus forte que les pouvoirs en place.
L’alternative : laisser émerger notre conscience et les valeurs qu’elle porte. Car le pouvoir peut devenir le moyen d’un projet viable pour l’humanité, incluant nos propres collectivités et organisations, s’il est collé à nos valeurs, avec intégrité et authenticité. Il faut commencer par soi-même et localement. Il nous faut poser maintenant des actes de liberté. « La pierre d’angle de ce mouvement de montée (…) c’est le "je". Moi, "je" dois arriver à un niveau de désillusion suffisant pour dire : je, c’est moi. Je dois agir, même si je suis (initialement) seul à le faire. »
Jean Bédard appelle à la montée de nos propres consciences, sans innocence et sans naïveté. « Tant que l’on n’est pas revenu chez soi (…) tant que l’on n’a pas pris racine dans notre corps et dans la nature, on n’est pas vraiment chaussé pour entreprendre la montée (…) dans l’univers de la lucidité ».
Trop de mécanismes de pouvoir nous incitent à être consommateurs et à être spectateurs, ce qui contribue à maintenir en place leurs emprises de pouvoir. Sortir de l’impuissance est tout un contrat. S’extraire du retrait confortable de la position de l’observateur quelquefois cynique et détaché, se détacher de la consommation qui maintient l’illusion que nous sommes ce que nous avons acheté. Prendre appui véritablement sur la vie en soi et autour de soi.
Quand la conscience en nous se met à monter, elle se prend d’abord pour seul modèle et pour seule référence. « Elle est unidimensionnelle. Elle se perçoit comme l’île de référence, l’île de la vérité. Elle n’est capable que d’une logique en trois temps : but, moyens, résultats (…) pour manipuler les êtres en fonction de ses propres buts. »
Puis, possiblement, un saut qualitatif. La montée de l’empathie, de la réciprocité, de l’interdépendance. Et aussi la descente en soi, dans le vécu de ses corps : physique, émotif, mental et spirituel. Plonger dans la solitude de son être et déboucher sur la solidarité.
Ensuite, une arrivée dans le présent, dans l’ici et maintenant. La seule place et le seul moment où il m’est possible de faire réellement quelque chose, entre un passé qui est déjà derrière moi et un futur qui n’est pas programmé d’avance. La présence attentive à soi, aux personnes proches de soi (au travail comme dans sa vie privée), à leurs enjeux, à leurs quêtes de paix et de réalisation profondes d’elles-mêmes.
Alors, un saut quantique. « À ce stade, la conscience veut réellement s’incarner… et entrer pleinement dans la vie avec tous les risques que cela comprend. La confiance est entrée et a fait son nid dans l’âme humaine. La personne n’est plus simple potentialité, elle s’actualise en produisant des œuvres originales, concrètes, multiples et capables de favoriser l’élargissement des consciences (…) C’est une éthique de la participation à la création. Elle contribue à l’émergence des libertés. »
Ce livre nourrit les bases d’une démarche avancée de coaching : personne d’autre que moi-même ne peut le faire à ma place. J’ai à assumer mes intentions, mes désirs. J’ai à trouver le courage pour me réveiller et me mettre debout. J’ai à manifester, à exprimer ce qui me tient à cœur et je pourrai trouver de l’écho autour de moi. Je pourrai alors voir les autres personnes qui sont sympathiques à mes enjeux. Les autres personnes sensibles aux mêmes enjeux pourront me voir. Et nous pourrions faire des choses ensemble : favoriser entre nous les échanges de services et mettre en place de nouvelles façons de faire du commerce entre nous, dans l’interdépendance.
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Jean Bédard est un philosophe, essayiste, romancier, et professeur associé à l'Université du Québec à Rimouski. Voir son entrevue récente avec Christiane Charette de Radio-Canada, son séminaire de 2007 sur les fondements spirituels de l’éthique, ses autres écrits.
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