Monday 19 July 2010

Penseurs de la décroissance

Selon Wikipédia, la décroissance est un ensemble d'idées écologistes, anti-productivistes, anti-consuméristes qui appellent à une relocalisation des activités économiques afin de réduire l'empreinte écologique, et à mettre fin à la croissance illimitée sur une terre limitée par une réduction contrôlée ou «décroissance soutenable».

Parmi ses penseurs, le bioéconomiste Georgescu-Roegen, auteur de Demain la décroissance. Entropie, écologie, économie (1979); les anarcho-libertaires Jean-Pierre Tertrais, Du développement à la décroissance: de la nécessité de sortir de l'impasse suicidaire du capitalisme (2007, ci-contre), et Alain de Benoist, Demain la décroissance. Penser l'écologie jusqu'au bout (2008); et les écosocialistes Michel Beaud, Le basculement du monde (1997), et Serge Latouche, Le Pari de la décroissance (2006).

Leurs adeptes s'appellent «Objecteurs de Croissance», prônant des actions telles une journée sans achat, eco-villages, relocalisation, et simplicité volontaire. Leur sympathisants comptent José Bové, Albert Jacquard, et François Schneider du SERI. Même Nicolas Hulot dans
l'Impératif écologique (2008) et Hubert Reeves dans Mal de terre (2003) frôlent cette pensée.

Le progrès est ... un des visages, et un visage incertain, du devenir. Il est remarquable que sur la ruine de la providence divine l'humanité laïque, la philosophie des Lumières, l'idéologie de la raison aient pu hypostasier et réifier l'idée de progrès en Loi et Nécessité de l'histoire humaine ; et cette idée a été à ce point désincarnée, détachée de toute réalité physique et biologique, qu'elle a fait ignorer le principe de corruption et de désintégration en oeuvre dans physis, cosmos, bios. Plus aveugle encore fut le mythe techno-bureaucratique du progrès qui régna pendant deux décennies. Il conçut la croissance industrielle comme l'opérateur du progrès humain. Dès lors, la croissance, vouée à progresser indéfiniment, devenait la preuve, la mesure, la promesse d'un progrès généralisé et infini... -- Edgar Morin, 1981

L'humanité court à sa perte, si elle se montre incapable d'infléchir totalement l'évolution de notre société de consommation ; en somme, si elle continue à se révéler irresponsable [...]. Il nous reste peu de temps pour sauver l'honneur et l'espoir d'une humanité en grand danger. -- René Dumont, 1988


cités dans Michel Beaud, Le basculement du monde (1997) p.281; ci-dessous, d'autres extraits tirés de ce livre en ligne :

Michel Beaud

Menaces des temps présents (p.206+)

Disposant d'énormes moyens techniques et financiers, l'Humanité a surmonté bien des craintes et maîtrisé bien des menaces du passé, mais se trouve confrontée aux nouveaux périls nés de sa nouvelle puissance.

Longtemps ce fut la peur de la guerre nucléaire, aujourd'hui lovée quelque part dans les profondeurs de l'inconscience. Aujourd'hui, pour les hommes d'affaires les plus en vue, comme pour des fragments de familles réduits à dormir sous des porches, c'est l'insécurité de tous les instants. Les sociétés riches s'inquiètent de risques pour la santé, même infimes en probabilité, provenant de systèmes d'alimentation ou de soins. Des sociétés pauvres, en cours d'industrialisation et de modernisation, commencent à découvrir les menaces, pour la santé ou la vie, de pollutions ou d'accidents industriels, de malfaçons dans les constructions ou d'usage de matériaux ou de produits dangereux.

Il y a aussi les risques sociétaux, tenant aux effets des guerres et des chaos armés, aux nouveaux comportements des générations des pays riches qui ont été rejetées durablement dans le chômage et la précarité, aux nouveaux comportements des générations des pays pauvres qui ont grandi dans la misère, la lutte pour la vie et la violence ; et aussi les risques tenant aux dégénérescences de la démocratie (engagements non tenus, enrichissement personnel des élus, détournement des moyens publics, corruption)...

En outre, depuis plusieurs années, des responsables d'organismes internationaux, des experts laissent percer, en termes choisis, l'inquiétude que leur inspirent de possibles crises sur les marchés monétaires et boursiers. Le spéculateur George Soros, orfèvre en la matière, est plus explicite : « L'histoire a montré qu'il arrive bel et bien que les marchés financiers s'effondrent, entraînant dépression économique et troubles sociaux». Et encore : « Les marchés sont fondamentalement instables, contrairement à ce que prétendent les idéologues du laisser-faire […]. J'affirme que notre système risque de s'effondrer […]. L'effondrement du marché global serait un désastre dont on ne saurait imaginer les conséquences»

Et puis, il y a les risques découlant des nouvelles technologies, du nucléaire aux manipulations génétiques. D'autant que l'on sait maintenant que ces technologies ne restent pas strictement enfermées dans des laboratoires jusqu'au jour où leur maîtrise est parfaitement assurée.

On sait aussi que la raison d'État ignore et l’éthique et le principe de précaution....La logique marchande aussi a ses raisons qui ignorent l'éthique....

Victoires de l'irresponsabilité et de l'acratie (p.212+)

Irresponsabilité : dès lors que le marché pourvoit à tout, c’est au consommateur de faire le bon choix ; dès lors que l'argent est la valeur suprême, ceux qui n'en ont pas sont hors jeu ; dès lors que les marchés, notamment financiers, sont mondiaux, les dirigeants nationaux ont bien des excuses pour « laisser faire ». Firmes, gouvernements, professionnels (de la santé ou de la finance), savants ne lésinent certes pas sur les appels, les déclarations, les codes (de bonne conduite ou d'éthique). Mais, face aux processus en cours qui déstructurent nos sociétés, mettent en péril la Terre, menacent les humains, nul lieu où soit réellement élaborée et mise en oeuvre la stratégie pluridimensionnelle dont nous avons besoin.

Acratie : incapacité des hommes au pouvoir à l'assumer réellement, à affronter les enjeux majeurs, les problèmes les plus graves, à définir et engager les stratégies nécessaires et à imposer les efforts que les choix faits impliquent. Et même ceux dont les discours montrent qu'ils ont bien vu l'essentiel se révèlent incapables de le prendre en charge ou de mettre en oeuvre les processus ou les procédures qui s'imposent.

Des compromis planétaires ? (p.241+)

Au niveau mondial, on peut se réjouir d'une certaine prise de conscience, d'avancées rendues possibles par certaines réunions internationales et de mesures, annoncées ou mises en oeuvre, dans quelques domaines. Mais les efforts ne sont pas à la hauteur des problèmes.

Le montant de l'aide publique du Nord au développement du Sud est tombé à moins de 0,3 % du produit brut des pays du Nord, record historique. Les États-Unis n'ont toujours pas engagé une politique résolue de réduction de leur consommation de pétrole. Le nécessaire codéveloppement Nord-Sud, qui permettrait de faire face aux urgences et des sociétés et de l'environnement demeure à un stade symbolique.

Si l'on prend comme référence le compromis social-démocrate qui a permis à quelques pays du Nord de mettre pendant plusieurs décennies la machinerie capitaliste en conformité avec certains idéaux de société (équité, solidarité, cohérence), deux « compromis » paraissent souhaitables au niveau planétaire. L'un et l'autre doivent viser à mettre la machinerie multinationale/mondiale en conformité avec le choix d'un monde vivable, dans le souci de faire face aux urgences et de répondre aux besoins essentiels sans sacrifier l'avenir.

D'abord un compromis Nord-Sud. Les pays riches du Nord doivent clairement s'engager à réduire leurs atteintes à l'environnement et à soutenir les politiques d'équipement et de modernisation du Sud assurant la sauvegarde de l'environnement. Pour les pays riches du Nord, il s'agit de :
  • réorienter résolument leurs économies dans des voies assurant à chacun les moyens d'une vie digne, réalisant économies d'énergie et de matière et limitant les atteintes à l'environnement ;
  • soutenir massivement les efforts faits par les pays en cours d'industrialisation pour adopter techniques et équipements visant ces objectifs ;
  • soutenir les efforts des pays pauvres pour reconstruire des activités productives qui assurent la subsistance de chacun et sauvegardent les ressources essentielles (sol, eau, espèces végétales et animales).
Placé sous le signe du codéveloppement, un ensemble d'actions coordonnées dans ce sens peut d'ailleurs constituer un soutien à l'activité et à l'emploi, au Nord comme au Sud, et devrait permettre d'empêcher de profondes dégradations, tant sociales qu'environnementales, qui, si on les laissait s'aggraver, se révéleraient inévitablement plus coûteuses dans quelques décennies.

Simultanément, un autre compromis devrait être passé avec les très grandes firmes. Devraient contribuer à ce compromis des États, des organismes internationaux et des forces représentant le mouvement social et la société civile dans différentes régions du monde. Ce compromis devrait viser à :
  • orienter vers des priorités, en suscitant et mobilisant des demandes monétaires, une partie de l'activité de la machinerie multinationale/mondiale
  • border la fuite en avant technoscientique par une application stricte du principe de précaution
  • limiter les périls liés à l'intégration de la technoscience dans les très grandes firmes et au développement des megasystèmes techniques.
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Voir aussi La Déclaration de Tilburg (2008); la 2e Conférence sur la décroissance 2010; R&D Research and Degrowth / Recherche et Décroissance; et une entrevue pessimiste de Michel Beaud, Le Devoir 12 juillet 2010 : À bout de souffle, le capitalisme? Non, il règnera des années encore avec de nouveaux produits à consommer ou à spéculer, et de nouvelles tragédies pour faire basculer le monde.

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